Les migrants vietnamiens
Dans la nuit du 22 au 23 octobre 2019, 39 migrants vietnamiens été retrouvés mort dans un camion en Angleterre. Le 10 novembre 2023, la justice française a condamné 18 personnes impliqués dans un réseau d’immigration clandestine du Vietnam vers l’Europe. Les peines vont du sursis à 10 ans d’emprisonnement ferme.
Quelle importance donner au phénomène migratoire en provenance du Vietnam ?
Alors qu’avant la colonisation, l’émigration était relativement réduite, celle-ci s’intensifia au début du XXe siècle et devint même massive au cours vers la fin du même siècle (boat people). Aujourd’hui, les flux migratoires en provenance du Việt Nam apparaissent plus modestes mais semblent toujours motivés par des considérations économiques et politiques, les deux étant inséparables.
Étroitement liée à la colonisation française, la première vague d’émigration a débuté vers 1910, lorsque plusieurs centaines de Vietnamiens se rendirent en France (Tây Du, exode vers l’ouest qui fait suite à l’exode vers l’est, Đông Du, instigué par le nationaliste Phan Bội Châu[1]) pour leurs études et aussi pour trouver un soutien politique et matériel dans leur lutte contre le colonialisme français (voir Nationalisme). Ce fut le cas de Nguyễn Tất Thành (le futur Hồ Chí Minh) qui s’embarqua, tout d’abord, comme aide cuisinier en 1911, avant d’arriver en 1915 en Angleterre.
Pendant la première guerre mondiale, près de 50 000 travailleurs indochinois furent recrutés de force par l’État français[2]. Vers 1920, après le Congrès de Tours, quelques dizaines de Vietnamiens sont envoyés par le parti Communiste Français en Russie pour y suivre une formation à l’Université des travailleurs d’Orient[3]. D’autres rejoignirent aussi le Sud de la Chine, notamment Canton où ils se formèrent à la révolution sous la férule du Komintern entre 1923 et 1925. Les effectifs estudiantins vietnamiens en France en 1929 augmentèrent considérablement pour atteindre 1700 individus[4]. En 1939, 20 000 travailleurs et 7000 tirailleurs, aussi connus sous le nom de lính thợ (soldats-ouvriers) encadrés par le service de la Main-d’œuvre indigène (MOI), furent envoyés en métropole pour y travailler dans les usines d’armement (essentiellement dans les poudreries) ou dans les champs comme en Camargue où leur savoir-faire en riziculture fut « mis à profit ».
De 1945 à 1955, un million de Vietnamiens du Nord gagnèrent le Sud et, de 1954 à 1975, environ 10 000 (fonctionnaires, couples mixtes, Eurasiens) arrivèrent en France fuyant la première guerre d’Indochine. Dans les années 1960, une autre vague de « rapatriements » concerna le Sud du pays. Entre 1965 et 1975, environ 100 000 Vietnamiens fuirent la deuxième guerre d’Indochine pour s’installer en Occident (20 000 en France). L’épisode dit des boat people commença ensuite, à la libération de Sài Gòn en 1975. Des migrations entre pays frères eurent également lieu dès les années 1960 vers l’Europe centrale et orientale où près de 240 000 étudiants et travailleurs furent envoyés par le parti Communiste du Việt Nam (certains restèrent sur place après les révolutions de 1989-1991).
À partir des années 1980, une fois la paix réinstallée, une période de désillusion et de perte de confiance de la population envers son gouvernement entraina à nouveau quelques départs qui s’accentuèrent par la politique du renouveau (Đổi mới). Synonyme de difficultés socio-économiques (augmentation du chômage, diminution importante des aides de l’État, obligation de « gagner sa vie ») et de l’abandon officiel de l’utopie, l’ouverture au capitalisme international s’accompagna également de son lot de migrants.
Aujourd’hui, au XXIe siècle, les migrations que l’on observe entretiennent avec le fait politique une intimité particulière. Ces migrations apparaissent comme déterminées économiquement mais aussi politiquement. Des milliers de Vietnamiens cherchent en effet à migrer vers des pays « du Nord ». Parmi les destinations de ces nouveaux migrants, figurent notamment l’Australie, l’Europe ou même les États-Unis. En Europe, c’est le Royaume-Uni qui attire une part importante de ces flux de personnes à la recherche de meilleures conditions d’existence. Ces migrations, principalement masculines, sont généralement individuelles.
De surcroît, les migrants sont jeunes (majoritairement entre 25 et 40 ans). Concernant les flux en direction du Royaume-Uni, Angers constitue une étape cruciale pour nombre des candidats à la « Terre promise ». Le voyage vers l’Europe se fait le plus souvent, mais pas exclusivement, via une « agence » (des passeurs) en échange de 15 000 à 20 000 euros.
Eu égard à l’importance de la somme à rassembler, on comprend que les Vietnamiens qui migrent ne sont en fait pas les plus pauvres. Pour le Royaume-Uni, on estime à 20 000 le nombre de Vietnamiens installés illégalement quand 50 000 sont en situation régulière[5]. Ces migrations cachent également un trafic d’êtres humains (surtout des mineurs) à qui on a promis une vie meilleure en échange d’une ou deux années de labeur. Malheureusement, il arrive parfois que les migrants perdent la vie avant d’atteindre leur destination, comme ce fut le cas en octobre 2019 en Angleterre où 39 Vietnamiens ont été retrouvés morts dans un camion frigorifique (un container) en provenance du port de Zeebruges (Belgique).
Le trajet des migrants vietnamiens est souvent le même : un vol Hà Nội – Moscou avec un visa tourisme, puis un long voyage à pied et/ou en camion à travers l’Europe jusqu’à la Belgique ou la France.
D’autres tentent aussi leur chance par l’Espagne où, après un travail saisonnier, ils essayent d’atteindre le Royaume-Uni. Une fois arrivés, l’écrasante majorité de ces migrants ne trouvent généralement pas d’emploi, certains finissent alors impliqués dans des entreprises illégales de culture de cannabis, seule possibilité s’offrant à eux pour rembourser leur dette de voyage (jusqu’à 40 000 euros).
[1] Pour Phan Bội Châu, le Việt Nam appartient à la « même culture, même race et même continent » que le Japon et la Chine (à la différence du Siam et du Cambodge par exemple). Par ailleurs, selon Chaû et ses partisans, le Japon est une nation hautement civilisée qui, de surcroît, a su tenir en échec une puissance « blanche » (la Russie, lors de la bataille navale de Tsuhima le 27 et 28 mai 1905).
[2] Le Van Ho M., 2015, « Les Vietnamiens dans la Grande Guerre : des recrues pour l’industrie de l’armement », Hommes & migrations, 1309 | 168-171.
[3] Brocheux P., 2005, « Une histoire croisée : l’immigration politique indochinoise en France (1911-1945) », Hommes et migrations, 1253, pp. 26-38.
[4] Sur l’immigration entre 1926-1930, lire l’article de Hémery D., 1975, « Du patriotisme au marxisme : l’immigration vietnamienne en France de 1926 à 1930 », Le mouvement social, n°90, pp. 3-54.
[5] Tan D., Nguyen Hiep T., 2017, Enquête de terrain auprès des migrants vietnamiens, Étude de l’Irasec et France Terre d’Asile, Les Cahiers du social n°38, 132 p.
Pour aller plus loin :
Brocheux P., 2005, « Une histoire croisée : l’immigration politique indochinoise en France (1911-1945) », Hommes et migrations, 1253, pp. 26-38.
Guerassimoff E., Hardy A., Nguyen Phuong Ngoc, Poisson E., 2020, Les migrations impériales au Vietnam. Travail et colonisations dans l’Asie-Pacifique français, XIXe-XXe siècles, Maisonneuve&larose/ Hémisphère, 406 p.
Hardy A., 2008, Vers une histoire du phénomène migratoire au Vietnam, synthèse des travaux présentés en vue de l’HDR, université de Provence.
Le Van Ho M., 2015, « Les Vietnamiens dans la Grande Guerre : des recrues pour l’industrie de l’armement », Hommes & migrations, 1309 | 168-171
Luguern Liêm-Khê, 2021, Les « travailleurs indochinois ». Étude historique d’une immigration coloniale (1939-1954), Les Indes Savantes, 662 p.
Tan D., Nguyen Hiep T., 2017, Enquête de terrain auprès des migrants vietnamiens, Étude de l’Irasec et France Terre d’Asile, Les Cahiers du social n°38, 132 p
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Yves Duchère (12 novembre 2023). Les migrants vietnamiens. Việt Nam ơi ! Consulté le 17 septembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/v7js
