Hồ Chí Minh-Ville, la jeune capitale économique
Bien qu’encore jeune, Sài Gòn, dont la fondation remonte à 1698, porte en elle l’empreinte des vicissitudes de l’histoire. Tour à tour, port de pêche, citadelle juxtaposée à un comptoir marchand chinois, « perle de l’Extrême-Orient » ou encore capitale d’une autocratie soutenue par les États-Unis, la ville de Hồ Chí Minh se présente aujourd’hui comme le produit d’un cosmopolitisme singulier associé à une grande ouverture à l’international et un fort dynamisme économique.
Avant-dernière étape avant le delta du Mékong, le port de Sài Gòn est pris par les Kinh en 1674 au terme d’un mouvement de colonisation vers le Sud entamée plusieurs siècles plus tôt depuis le delta du fleuve Rouge (voir Nam Tiến). Officiellement crée en 1698, la ville accueille à partir de cette date l’administration Nguyễn et regroupe 5000 habitants. En 1778 le comptoir marchand chinois de Chợ Lớn est créé. En 1790, le pouvoir Nguyễn renforce sa présence dans la région, la citadelle est achevée, les activités économiques et commerciales y fleurissent en attirant toujours plus de migrants à la recherche de travail.
Au cours de la première moitié du XIXe siècle, Hoa (Chinois), Kinh, Khmers côtoient Européens, Malais, Japonais, Indiens… Puis vint le « temps des français » (thời pháp), autrement dit la colonisation française. La ville devint alors capitale de la Cochinchine. De nouveaux bâtiments à vocation symbolique ou fonctionnel sortirent de terre (Palais du gouvernement général de l’Indochine, l’opéra, la grande Poste Gustave Eiffel, cathédrale, hôtel de ville), les infrastructures se modernisèrent (ouverture d’un port commercial pour exporter les marchandises en métropole), et la ville, qui connut un essor démographique significatif, fut réaménagée selon le plan Koffyn. Bien qu’il faille considérer les données démographiques de l’époque avec précaution, en 1943, Sài Gòn et Chợ Lớn comptaient 498 000 habitants[1], tandis qu’en 1954 on recensait 1,7 millions d’habitants[2] (contre moins de 400 000 à Hà Nội la même année).
En 1975, à la fin de la deuxième guerre d’Indochine, l’agglomération regroupe 2,8 millions d’habitants (dont 400 000 réfugiés poussés par les hostilités du mois de mars et avril 1975). La politique américaine dit des « hameaux stratégiques » (voir article Urbanisation) participa largement à alimenter la croissance démographique de la ville. « Libérée »par les troupes nord-vietnamiennes en 1975, la ville prit le nom de Hồ Chí Minh. Dans les années 1980, l’urbanisation fut fortement contenue, tandis que la population fut renvoyée à la campagne (voir Urbanisation).
Au moment des réformes du Đổi mới de la fin des années 1980, la ville profita d’infrastructures héritées du passé pour accélérer son urbanisation. Aidée par le relâchement du contrôle de la résidence au cours de la dernière décennie du XXe siècle, la population augmenta considérablement pour atteindre 3,7 millions en 1999. Dans le même temps, se constitua un véritable triangle de croissance entre la province de HCMV, Bình Dương, Bà Rịa Vũng Tàu et Đồng Nai.
Totalisant officiellement, en 2019, neuf millions d’habitants (croissance annuelle de la population : 3,2 %), auxquels il convient d’ajouter trois millions de migrants non recensés (population flottante), la région de Hồ Chí Minh-Ville, engagée dans un puissant processus de métropolisation, contribue en 2019 à 40 % du PIB national, à 60 % du budget de l’État[3] et s’étale sur un continuum de 800 km2. La région compte 127 parcs industriels, 4 villes nouvelles, des centaines de kilomètres d’infrastructures autoroutières modernes et au moins 8 complexes portuaires s’ajoutant à l’aéroport de Hồ Chí Minh-Ville, à celui de Vũng Tàu et surtout au nouvel aéroport international de Long Thành actuellement en construction.
Tête de pont de la mondialisation au Việt Nam, les nouvelles formes urbaines et architecturales à l’œuvre empruntent aux logiques d’internationalisation de la production urbaine. Toutefois, Hồ Chí Minh-Ville conserve un caractère singulier qui témoigne, entre autres, de la capacité de sa société à intégrer des éléments exogènes en les adaptant au cadre social et politique local fait d’arrangements, de compromis et d’accommodements. Par ailleurs, comme l’a montré la géographe M. Gibert[4], si la métropolisation possède une face spectaculaire (grands projets urbains, verticalisation du bâti, larges et puissantes infrastructures de communication, quartiers d’affaires, etc.), celle-ci se dote aussi d’un « envers » fait d’informalités, de constructions basses et de ruelles le long desquelles vit 85 % de la population.
Pour autant, malgré la cohabitation de modes d’habiter divers et des rapports État-populations marqués du sceau de la concertation, les projets urbains qui se déploient sur le territoire de la métropole, notamment dans le périurbain, continuent de s’accompagner d’une forme de violence à l’endroit des populations locales. À ce propos, le projet de ville-nouvelle de Thủ Thiêm reste encore le plus célèbre. Situé dans la boucle de la rivière Sài Gòn face au centre historique de HCMV, ce projet, d’une surface de 737 ha, a nécessité l’éviction conflictuelle et controversée de 14 000 ménages entre 2002 et 2014[5]. Le montant des compensations et les modalités de réinstallation des populations provoquèrent effectivement un mouvement de résistance de la part des habitants.
Cet urbanisme de projets reposant sur l’aménagement et la construction de nouvelles zones urbaines (voir Urbanisation), s’opère sous le contrôle des autorités publiques, et participe de l’accroissement du rôle des acteurs privés en charge de la construction de logements et des infrastructures via des montages financiers prenant la forme de Partenariats Publics-Privés (PPP) faisant, dans certains cas, l’objet de malversations.
Enfin, avec une altitude moyennes inférieure à 1,5 m au-dessus du niveau moyen de la mer, la métropole fait face à des enjeux environnementaux sans précédents qui hypothèquent largement ses possibilités de développement. Soumis à de fortes pluies locales, un débit élevé des rivières Sài Gòn et Đồng Nai, et à des marées hautes puissantes, la région métropolitaine est particulièrement affectée par les inondations que la minéralisation, l’étalement urbain et la mauvaise qualité des systèmes de drainage aggravent. Selon Tran Ngoc[6], 90 % de l’espace urbain est imperméable, tandis que d’importants processus de subsidence sont à l’œuvre (affaissements localisés jusqu’à 3cm/an par endroit). Tran Ngoc et al[7] estiment par ailleurs très plausible la possibilité que d’ici quelques dizaines d’années HCMV devienne « une île, se limitant à ses quartiers « hauts » (les districts 4, 3, 1 et les quartiers Nord, tous à une altitude supérieure à 1,5 m) à l’intérieur d’une zone marine recouvrant l’essentiel de la LECZ (Low Elevation Coastal Zone) du bas Mékong ».
[1] Annuaire Statistique du Viêt-nam 1949-1950
[2] Annuaire Statistique du Viêt-nam 1952-1953
[3] Tractus, 2020, « Vietnam Southern Economic Region”, Tractus website, 7 p. cité par Gibert M. et Musil C., 2020, « Hồ Chí Minh Ville, terrain de jeu(x) métropolitain(s) », EchoGéo 52.
[4] Gibert-Flutre M., 2019, Les envers de la métropolisation. Les ruelles de Hồ Chí Minh Ville (Vietnam), Paris, CNRS Éditions, 243 p.
[5] Harms E., 2016, Luxury and Rubble, Civility and dispossession in the New Saigon, Oakland University, University of California, 304 p.
[6] Tran Ngoc T. D., Perset M., Strady E., et al., 2016. Hồ Chí Minh City growing with water-related challenges Water, Megacities and Global Change: Portraits of 15 Emblematic Cities of the World. Paris, UNESCO – ARCEAU, 27 p
[7] Tran Ngoc Tien Dung, Vachaud G., Gratiot N., Tien Dung Tran Ngoc, 2020, « Hồ Chí Minh Ville, des inondations à la submersion… », EchoGéo [En ligne], 52.
Pour aller plus loin :
Gibert-Flutre M., 2019, Les envers de la métropolisation. Les ruelles de Hồ Chí Minh Ville (Vietnam), Paris, CNRS Éditions, 243 p.
Gibert-Flutre M., Musil C., 2020, « Hồ Chí Minh Ville, terrain de jeu(x) métropolitains », EchoGéo [Online], 52.
Harms E., 2011, Sài Gòn’s Edge : on the Margins of Hồ Chí Minh City, University of Minenesota, 320 p.
Hoang Truong Truong, 2014, La banlieue de Hồ Chí Minh ville. Bà Điểm (Hóc Môn) et Vĩnh Lôc (Bình Chánh), Presses Universitaires de Provence, 258 p.
Parnell S., Oldfield S. (ed.), 2014. The Routledge Handbook on Cities of the Global South. New York, Routledge, 635 p.
Tran Ngoc Tien Dung, Vachaud G., Gratiot N., Tien Dung Tran Ngoc, 2020, « Hồ Chí Minh Ville, des inondations à la submersion… », EchoGéo [En ligne], 52.
Vu H.L., 2013. The Making of Sài Gòn from the Nguyen Lords to 1954. London, British Academy and ECAF, 36 p.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Yves Duchère (11 novembre 2023). Hồ Chí Minh-Ville, la jeune capitale économique. Việt Nam ơi ! Consulté le 17 septembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/v7jm
