Le fleuve Mékong
Formé il y a 17 millions d’années, le Lancang/Mékong est le 12e plus grand fleuve au monde et le 7e en Asie. Traversant six pays (Chine, Myanmar, Thaïlande, Vietnam, Laos, Cambodge), le Lancang/Mékong s’étire sur 4900 km, dont 2310 km en Chine, et dispose d’un bassin versant de 800 000 km2.
Prenant sa source dans le Qinghai (Himalaya tibétain) à 5224 m d’altitude, le Lancang (nom du fleuve coulant en territoire chinois signifiant « fleuve turbulent »[1]), qui est ponctué de gorges et de précipices, s’étire sur au moins 2000 km en Chine avant d’entrer au Laos à moins de 500 m d’altitude. S’écoulant à travers le Laos, le Mékong forme la frontière entre le Myanmar et le Laos sur 200 km puis, de manière discontinue, entre le Laos et la Thaïlande avant de traverser le Cambodge et de s’épanouir au Việt Nam où la douceur des pentes favorise la constitution d’un delta vieux de 7500 ans (voir focus). Dans le relief tortueux du nord du Laos, le Mékong s’écoule à travers d’étroites passes alternant entre rapides et petits bassins (par exemple, le bassin de Luang Prabang). Ensuite, après avoir traversé la région de Vientiane où la vallée atteint jusqu’à 1 km de large, le fleuve chemine à travers un terrain calcaire karstique propice aux rapides puis, d’un débit plus modéré (dans la plaine de Savannakhet, il peut atteindre 10 km de large), il poursuit son parcours laotien dans le « pays aux 4000 îles » avant de quitter le territoire par les chutes de Khone (21 m de chutes sur 10 km).
Pénétrant le territoire cambodgien par des rapides, le Mékong s’écoule sur environ 500 km à une altitude passant de 120 mètres à moins de 50 mètres avant de rouler un flot nonchalant dans la pédiplaine cambodgienne ponctuée de phnom (reliefs karstiques abruptes de 100 à 600 m). Encadrée par le massif des Cardamones au sud-ouest (culminant à 1813 m) et de l’éléphant, l’escarpement des Dangrek au nord, les plateaux de l’est (provinces de Mondolkiri et Ratanakiri), la plaine est constituée, d’une part, du bassin inférieur du fleuve Mékong qui s’écoule, après s’être dédoublé en deux bras (le Bassac et le Mékong) au niveau de Phnom Penh, jusqu’à son delta au Việt Nam et, d’autre part, le bassin du Tonlé Sap – cuvette d’orientation nord-ouest-sud-est – vers lequel convergent les rivières des reliefs environnants. Composée du Petit Lac, du Grand Lac et de la rivière Tonlé Sap, cette mer intérieure couvre une surface de 2300 km2 qui, lors de la crue du Mékong (juillet-octobre), peut passer à 12 000 km2. Le renversement du cours du Tonlé Sap utilisé par le Mékong comme déversoir entraine une inondation qui peut remonter jusqu’au nord-ouest du pays. Les inondations sont également notoires dans la plaine des Quatre-Bras, là où se rejoignent le Tonlé Sap et le Mékong, tandis qu’à Phnom Penh, l’eau peut couler jusqu’à huit mètres au-dessus du niveau d’étiage.
Au Việt Nam, le fleuve se sépare en deux branches principales (Tiền Giang et Hậu Giang) ainsi qu’en neuf estuaires (Sông Cửư Long : « fleuve aux neuf dragons ») au contact de la Mer de Chine méridionale. Terminaison sédimentaire du fleuve, le delta du Mékong est situé dans le sud-ouest du Việt Nam à une altitude inférieure à 2 m et occupe une surface totale de 60 000 km2 (dont 40 500 km2 au Việt Nam), soit 12,2 % du territoire national (3e plus grand delta au monde). Moins densément peuplé que son homologue du nord, le delta du Mékong abritait tout de même 18 % de la population nationale en 2022. Bien qu’ayant des débits élevés (14 000 à 66 000 m3/s), le Mékong est moins dangereux que l’impétueux fleuve Rouge, notamment parce que son flux est régulé par le Ton Lé Sap au Cambodge, mais aussi parce qu’il s’empare d’une plaine d’inondation dépassant les limites de la plaine deltaïque, notamment au Cambodge. Par ailleurs, alors que le fleuve Rouge s’écoule directement des régions montagneuses qui alimentent la soudaineté de ses crues, le Mékong progresse dans une plaine dont la faible pente favorise la dispersion de ses nombreux bras, mais aussi l’exposition à des phénomènes de remontées d’eau saline ou de subduction. De formation relativement récente (environ 7 500 ans), le delta du Mékong a, au cours de son histoire, progressé de 220 km sur la mer et est soumis, comme n’importe quel delta, aux décharges du fleuve ainsi qu’à des forçages d’origine naturelle et anthropique (mousson, changement d’utilisation des terres, destruction de la mangrove, exploitation du sable, etc.).
Aménagements hydroélectriques et conséquences sociales et environnementales
Soucieuse d’assurer son indépendance énergétique par la construction de barrages hydroélectriques sur le Lancang (nom du Mékong en territoire chinois), la Chine qui dispose de 25 000 barrages sur son territoire national, a procédé de manière opaque et unilatérale, au moins jusqu’en 2015 (date du lancement du partenariat multinational Lancang Mekong Cooperation et aussi de sa « diplomatie du pourtour » (zhoubian waijiao) basée sur le « bon voisinage »), à de nombreuses constructions d’infrastructures hydroélectriques. Avant cette date, choisissant de minimiser, voire d’occulter totalement, les impacts socioéconomiques et écologiques de l’aménagement hydroélectrique, la Chine a déployé d’importants efforts pour limiter autant que possible l’internationalisation des enjeux liés à ces infrastructures. Avec 11 barrages construits sur le cours supérieur (figure 37), 11 sur le cours inférieur et environ 120 autres sur les affluents du fleuve, le pays est aujourd’hui accusé de modifier le débit du fleuve en aval, au détriment des autres pays dont la croissance économique rapide engendre également une forte demande énergétique. Pour répondre à l’augmentation de l’électricité dans les pays du bassin du Mékong, à l’instar de la Chine, le Laos et le Cambodge semblent miser sur la production hydroélectrique dans le but d’atteindre l’autosuffisance énergétique mais aussi afin de pouvoir se positionner comme fournisseurs auprès des pays de la région, à commencer par la Thaïlande et le Việt Nam qui, du reste, investissent également dans les infrastructures hydroélectriques au Laos.
Ces aménagements, à des degrés divers, entraînent un certain nombre de dérèglements sociaux et écosystémiques sur lesquels il convient de revenir. Par exemple, les barrages obstruent le transport de sédiments alors même que ceux-ci sont essentiels à la construction géomorphologique du delta situé au sud du Việt Nam. Par ailleurs, les aménagements hydroélectriques empêchent ou modifient les itinéraires de migration de certaines espèces en plus de perturber le régime hydrologique des cours d’eau et de retenir les nutriments[1] nécessaires à l’alimentation des poissons dont certains sont en voie d’extinction. De préoccupations environnementales à des problématiques sociales et économiques il n’y a qu’un pas lorsque l’on sait que le Mékong est la plus grande zone de pêche d’eau douce au monde (2,2 millions de tonnes) et que, par voie de conséquence, ce sont plusieurs millions d’individus qui en dépendent pour leur alimentation [Mottet, Lasserre, 2017]. Par exemple, comme le rappellent E. Mottet et F. Lasserre [2017], 80 % des 1,2 millions de riverains du lac Tonlé Sap au Cambodge sont des pêcheurs. Enfin, toujours en termes de conséquences sur l’alimentation des populations, la modification du débit du fleuve entraîne aussi des répercussions sur la qualité des récoltes de riz affectées par la remontée d’eaux salines dans le delta ou encore par des problèmes d’irrigation résultant de la réduction des débits du fleuve. Aussi, chaque projet s’accompagne de déracinements des populations locales qui, le plus souvent, peinent à obtenir une compensation.
[1] En 2019, faut de nutriments suffisamment présents dans l’eau, la couleur du fleuve a viré du marron (sa couleur naturelle) au bleu limpide.
[1] Débit de 15 000 m3/s en Chine
Pour aller plus loin :
Mottet E., Lasserre F., 2017, « L’hydropolitique environnementale du Mékong, entre intérêts nationaux et activisme international », Hérodote, n° 165, p. 165-184.
Antheaume B., Bonnemaison J., Bruneau M., Brunet R., Taillard C., 1995, Géographie universelle : l’Asie du Sud-Est, Océanie, Belin-Reclus, 480 p.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Yves Duchère (8 novembre 2023). Le fleuve Mékong. Việt Nam ơi ! Consulté le 17 septembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/v7jd
