Décès de James Scott, le penseur des sociétés sans État

La 19 juillet 2024, à l’âge de 88 ans, l’anthropologue anarchiste James Scott s’est éteint en laissant derrière lui une contribution majeure à la compréhension des sociétés en résistance conte l’État.

Professeur américain de sciences politiques et d’anthropologie à l’Université de Yale, James Scott s’est tourné dès ses études, au Williams College (Massachusetts), vers l’Asie du Sud-Est et particulièrement vers la Birmanie, puis la Malaisie (Weapons of the weak: Everyday forms of Peasant Resistance (1985)). S’inscrivant dans la continuité des travaux de Pierre Bourdieu (1930-2002), de Pierre Clastres (1934-1977) ou encore de Michel Foucault (1926-1984), l’universitaire anarchiste intégra également dans son oeuvre des éléments de réflexions empruntés aux grands auteurs de l’anarchisme, à commencer par Pierre Kropotkine (1842-1821) ou Mikhaïl Bakounine (1814-1876).

Un temps fasciné par les leaders révolutionnaires d’Asie du Sud-Est tels que Mao Zedong (1893-1976) ou Hô Chi Minh (1890-1969), James Scott prit rapidement ses distances avec les modèles autoritaires et oppressifs mis en place en Chine et au Viet Nam. C’est alors qu’il porta le regard vers les formes d’organisation sociales décentralisées et basées sur la coordination et la coopération.

Sans nier l’idée selon laquelle il est difficile de composer sans l’État qui est partout, notamment depuis le traité de Westphalie (1648), l’intellectuel s’est intéressé aux formes de résistances subtiles qui se sont déployées dans des zones qui restent encore aujourd’hui difficile d’accès. Même si à partir des années 1950, le contrôle des hautes terres par les populations des basses terres s’est largement accentué (politique des Nouvelles Zones Économiques au Viet Nam par exemple), des groupes parviennent encore à maintenir à bonne distance l’État, non en se confrontant physiquement à lui, mais plutôt en le domestiquant et en le pliant à leur objectifs.

Ainsi, la Zomia (terme inventé par l’historien William Van Schendel, 1950-2024) est identifié par James Scott comme la dernière expérience d’autonomie politique étendue dans l’espace et le temps. Cet “art de ne pas être gouverné” (cf. ouvrage Zomia ou l’art de ne pas être gouverné (2013)), nettement moins opérant à partir des années 1960 n’en reste pas moins caractérisé par une organisation propre et surtout par des séries d’entente informelles entre les individus qui, composant sans État, battent en brèche la linéarité des théories évolutionnistes selon lesquelles ne pas avoir d’État serait associé à un “stade antérieur”. D’une manière plus générale, l’on peut donc affirmer que les travaux de James Scott nous rappellent que l’anarchisme n’est pas le chaos et que le fonctionnement d’une institution ou d’une société ne peut reposer uniquement sur l’application stricte des règles et autres lois.

Parmi les autres contributions de James Scott, l’on peut citer ses travaux sur le concept de “résistance infrapolitique” (Domination and the arts of resistance: Hidden Transcripts (1990)) par lequel il explore les pratiques de résistance qui s’insinuent discrètement sur la scène publique et qui permettent aux populations dominées qui les mettent en place d’accroître leurs chances de survie. Dès lors, Scott crée une distinction entre le texte public (public transcript) et sa transcription cachée (hidden transcript), le premier s’expliquant, selon l’auteur, par la nécessité des dominés de survivre.

Outre l’apport de James Scott à la connaissance des populations des hautes terres d’Asie du Sud-Est et plus largement des sociétés entrées en résistance face à l’État, il y a aussi dans les travaux de l’anthropologue américain un message politique exhortant à la résistance quotidienne et à la désobéissance.

Paix à votre âme, professeur.

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