Les montagnes vietnamiennes

Les deux tiers du territoire national vietnamien sont occupés par des collines, des hauts-plateaux et des montagnes qui se distribuent dans le nord et dans le centre du pays. Outre l’éventail des montagnes sino-indochinoises qui prolongent l’Himalaya jusque dans le nord du Việt Nam (la chaîne Hoàng Liên Sơn est l’extension la plus méridionale de l’Himalaya), mention doit également être faite de la cordillère Trường Sơn (cordillère annamitique) qui court sur environ 1100 km au Việt Nam et au Laos. 

Dans le nord du pays, l’éventail sino-indochinois ceinture en partie le delta du fleuve Rouge, lui-même bordé par des collines basses aux formes rondes (150 à 200 m) associées à d’étroites vallées fluviales formant une zone de transition entre le cours supérieur du delta et les hautes terres.  

Véritable “mélange tectonique” (Findlay, 1999) encore actif sismiquement aujourd’hui, la moitié nord du Việt Nam résulte du mélange, de la déformation et du réarrangement d’éléments géologiques au cours de centaines de millions d’années. Ici, nous nous trouvons dans une zone de collision entre les blocs de la Chine du sud et de l’Indochine. À l’est du fleuve Rouge, la géologie y est en grande partie d’origine sud-chinoise, tandis qu’à l’ouest du fleuve, une vaste zone de subduction s’étend jusqu’à la latitude de Đà Nẵng où se mêlent des éléments du sud de la Chine et de l’Indochine et d’autres micro blocs. 

Les crêtes et les vallées du nord du pays sont pour l’essentiel le produit de la collision de la plaque indienne avec la plaque eurasienne il y a 50/60 millions d’années. Ces crêtes et vallées, orientées nord-ouest-sud-est se caractérisent aussi par d’impressionnantes formations karstiques (grottes, tours, collines, etc.). Par endroits, notamment au nord et au centre du pays, les massifs calcaires (karst) peuvent atteindre 3000 mètres ; ils témoignent du recouvrement ancien de la région par des mers peu profondes entre la fin du Dévonien (419 – 359 millions d’années) et le début du Trias (251 – 201,6 millions d’années). Les formations calcaires de la baie d’Hạ Long, dont le massif est centré sur l’île de Cát Bà, sont les plus connues. 

Mais c’est dans le nord-est du Việt Nam que les karsts sont les plus complexes et divers : tours déchiquetées, cônes, pains de sucre, poljés, grottes. À Cao Bằng et Bắc Sơn, ces formations karstiques atteignent 1000 m de haut. Le nord-ouest du Việt Nam présente également des éléments karstiques, plus étendus et plus découpés, notamment le long de la rivière Noire (sông Đà), de la frontière sino-vietnamienne à la côte.  Enfin, à l’ouest, au sud-ouest et au sud du delta, on trouve également des massifs karstiques comme dans la région de Hòa Bình, Sơn La ou encore Nghệ An. 

Dans la continuité de l’Ailao Shan chinois, à l’ouest du fleuve Rouge et de sa faille, court, sur environ 675 km, la chaîne granitique Hoàng Liên Sơn dont le point culminant, situé au Việt Nam, est le mont Phan Xi Păng (3142 m). Au sud-est de ce sommet domine un autre sommet, le Kang Ho Tao (2800 m), tandis que plus à l’est, dans la province de Yên Bái, c’est le Phú Lương qui culmine à 2985 m (3^e sommet du pays). Les granites de cette chaîne datent de 80 à 29 millions d’années mais le soulèvement de la chaîne n’a débuté qu’il y a 65 millions d’années et se poursuit encore aujourd’hui. Les formes pointues ponctuées de gorges profondes indiquent d’ailleurs que le soulèvement a été rapide. Enfin, l’on peut aussi mentionner le massif du Việt Bắc (ouest du fleuve Rouge, à la frontière chinoise) avec le Tây Con Lĩnh (2419m) ou encore le massif isolé de Tam Đảo (les trois monts, en sino-vietnamien) qui se dresse à 1500 m face au delta. 

Dans le centre du pays, c’est la chaîne Trường Sơn qui domine le paysage en suivant quasi parallèlement le littoral selon une alternance entre montagnes, plateaux, cols et basses terres sur environ 1200 km de long et 50 à 75 km de large. Traversant les territoires du Việt Nam, du Laos et, dans une moindre mesure, du Cambodge, cette cordillère compte plusieurs hauts sommets tels que le Phou Bia au Laos (2819 m), le Phu Xai Lai Leng (2270 m) à la frontière entre le Việt Nam et le Laos, et le mont Ngọc Linh (2598 m) au Việt Nam. Aussi, quatre grands cols (Đèo) divisent la chaîne du Nord au Sud : Ngang, Hà Văn, Cù Mông, Cả, tandis que le col de Mụ Giạ (418 m), à 90 km au nord-ouest de Đồng Hới, a été, et est encore, un point de passage important entre le Laos et le Việt Nam. 

D’un point de vue géologique, on observe, dans la chaîne Trường Sơn, la présence de coulées de lave basaltique, des roches sédimentaires, des granites extrudés ou encore des formations calcaires. Le mélange des roches et la richesse des sols s’expliquent par l’intense activité sismique et volcanique ayant eu lieu au cours de centaines de millions d’années. Par exemple, dans le nord de la chaîne, une large bande de calcaire déposée il y a environ 270 millions d’années traverse la cordillère dans la province de Quảng Bình. C’est notamment ici que l’on peut visiter la plus grande grotte karstique du monde, la grotte de Sơn Đông (parc national de Phong Nha Kẻ Bàng).

Le nord de la chaîne, jusqu’à la crête de Khe San, les hauteurs sont modestes côté vietnamien maximum de 1300 m) mais peuvent atteindre 2300 m côté laotien. Au sud de Khe San, à proximité du col de Hai Van, un magnifique éperon va chercher la mer, ce qui n’entrave pas la descente de la cordillère vers le Sud où sa principale caractéristique est le massif granitique de Kon Tum dont les roches cristallines sont parmi les plus anciennes observées en Asie du Sud-Est (560 millions d’années). Ce massif atteint le nord-est du Cambodge et se poursuit, au Việt Nam, par le plateau basaltique de Pleiku dont l’altitude est comprise entre 800 et 1400 m. 

Ensuite, dans sa partie méridionale, soit au sud des rivières Ba et Đà Rằng, un ensemble de plateaux granitiques et basaltiques largement érodés et ponctués de pics isolés comme le Bi Doup (2163 m) ou le Chu Yan Sin (2410 m) constitue les dernières hautes terres du pays. L’on peut ici citer le plateau du Đắc Lắk ou encore celui de Đà Lạt et de Di Linh (1000 à 15000 m) au sud-ouest de Da Lat. 

Focus : La Zomia, ou la montagne comme refuge

Comprise entre 300 et 4000 m, la Zomia (en tibéto-birman Zo: « montagnes » ; mi : « gens »), expression proposée par Willem van Schendel en 2002 et reprise par James Scott dans son célèbre ouvrage Zomia. L’art de ne pas être gouverné (2013), désigne un ensemble montagneux panasiatique s’étant constitué progressivement en réaction aux États des plaines qui les entourent. Malgré son hétérogénéité ethnolinguistique, cette région qui échappe aux grands découpages académiques, trouve son unité dans le fait que leurs habitants partageraient, selon Scott, Michaud (1997, 2009) ou encore Schendel, une forme de marginalité dans leur rapport à l’État agraire des plaines qu’ils tenteraient de maintenir à bonne distance. Selon J. Scott, les formes d’organisation sociale en Asie du Sud-Est traduisent un étagement en deux niveaux : de 0 à 300 m, le domaine de l’État-rizière, de la sédentarité, de la souveraineté, de l’impôt, de la corvée et de la réquisition militaire ; au-dessus de 300 m, le monde du nomadisme, de l’ethnicité et de l’autonomie. Rejoignant à certains égards la thèse K. Witfogel sur le despotisme oriental et l’émergence d’États centralisateurs organisés autour du contrôle hydraulique (civilisation hydraulique), J. Scott, même si ces travaux font l’objet de vifs débats, tente ainsi de caractériser la singularité des espaces échappant au monde de l’État-rizière. Sans centre et sans État unificateur (même si des exceptions existent comme par exemple, le royaume du Tibet du VIIIe siècle à 1959, celui de Lan Na du XIII^e au XVIIII^e, des Sip Song Chau Taï au nord du Việt Nam du XVII^e au XX^e siècle) les hautes terres ont vu se déployer un peuplement graduel résultant de la fuite de populations face aux velléités hégémoniques des États des plaines peuplées de Han, de Khmers ou de Kinh par exemple. La dynamique de ces États pris dans des logiques de conquêtes et de rivalités de pouvoir entraina effectivement des mouvements depuis les plaines vers les hauteurs, comme dans le cas des Taïs au premier millénaire ou des Hmong au XVIII^e et XIX^e siècle. 

Pour aller plus loin : 

        Michaud J, Culas C., 1997, « Les Hmong de la péninsule indochinoise : migration et histoire », Autrepart, n°3, pp 79-104

        Michaud, J., 1997, « Economic transformation in a Hmong village of Thailand », Human organization,56 (2) : pp. 222-232.

        Michaud, J., 2009 [2006], The A to Z of the Peoples of the Southeast Asian Massif, Lanham, Toronto et Plymouth : The Scarecrow Press Inc.

        Findlay, R. H. 1999. Review of the Indochina–South China plate boundary problem; structure of the Song Ma–Song  Da Zone. In Gondwana dispersion and Asian accretion: IGCP 321 final results volume, ed. I. Metcalfe, R Jishun, J. Charvet,and S. Hada, 341–361. Rotterdam: A. A. Balkema.

Schendel van W., 2002, « Geographies of Knowing, Geographies of Ignorance : Jumping Scale in Southeast Asia », Environment and Planning D : Society and Space, 20(6), pp. 647-668. 

Sterling J., Scott J.C, 2013, Zomia. Ou l’art de ne pas être gouverné, Seuil, 529 p. 

      Hurley M., Le Duc M., Powzyk J., 2007, Vietnam : A Natural History, Yale University, 423 

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