Les aménagements hydrauliques et leurs enjeux dans le delta du fleuve Rouge

Si les premiers aménagements hydrauliques remontent à plusieurs siècles, la question de leur pertinence ne cesse d’être posée. Faut-il laisser les eaux rouler librement sur la plaine deltaïque ou, au contraire, faut-il endiguer pour les contenir ?

Sans aller jusqu’à faire tabula rasa des milliers de kilomètres de digues érigées jusqu’ici, il convient de s’interroger sur les contradictions et les limites d’un système hydraulique pensé pour protéger les populations mais qui occasionne également de nombreux désagréments, voire des catastrophes. 

Il est vrai que du fait de l’endiguement des fleuves et rivières du delta du fleuve Rouge, les inondations sont plus soudaines et violentes que dans un delta non aménagé sur lequel l’inondation serait progressive, tout au long de l’été. Par ailleurs, un delta non endigué est un delta dans lequel l’alluvionnement, indispensable à l’agriculture, est plus homogène. 

Les alluvions constituent précisément la clef de compréhension de la dynamique géomorphologique des deltas endigués. En effet, lorsqu’un cours d’eau s’écoule, il charrie avec lui des matériaux, qui se déposent en formant en surface des bourrelets fluviaux, des chars (îles) ou encore des bancs. Dans le delta du fleuve Rouge, le Nord-Ouest présente des élévations plus importantes que la partie Nord-Est. Les bourrelets fluviaux que l’on observe surtout dans le nord-ouest, parfois très larges et pouvant atteindre jusqu’à trois mètres de haut résultent d’un processus naturel d’alluvionnement couplé à une intervention anthropique permettant leur maintien au grès des saisons et des crues. En effet, du fait de l’endiguement remontant au XIII^e siècle, les eaux du fleuve restent dans le lit majeur, la crue n’est pas en capacité d’égaliser la topographie fluviale, tandis que les défluents, pourtant essentiels à l’évacuation des eaux, ne peuvent plus se former. 

Par ailleurs, dans le cas d’un cours d’eau endigué, les sédiments, ne pouvant plus consolider les berges, se déposent au milieu du lit, sur le fond, ce qui entraine une élévation progressive du niveau de l’eau (en période de crue, on estime à 1,5 kg la quantité de sédiments contenue dans un mètre cube d’eau).  

L’endiguement participe donc de l’envasement du lit des cours d’eau. Ce processus, qui entrave l’écoulement naturel des eaux, dont le cours devient plus sinueux, favorise à terme l’exhaussement du lit des fleuves et des rivières en plus de faciliter la remontée d’eaux salines. Le fleuve Rouge, dans certaines zones, coule à 8 mètres au-dessus de la plaine ce qui, en cas de rupture de digue, fait encourir à la capitale une inondation massive. 

Face à ce risque de rupture des digues, les différents pouvoirs politiques qui se sont succédés ont procédés au rehaussement des ouvrages. Bien que faisant l’objet de vifs débats, notamment sous la dynastie des Nguyễn^[1] ou pendant la période coloniale^[2], les digues font régulièrement l’objet de travaux de renforcement et de rehaussement en réponse à la pression qui ne cesse de s’accroitre sur elles (voir figure 20). Les digues sont en fait condamnées à être perpétuellement rehaussées. 

Figure 20 : Renforcements types d’une digue du delta du fleuve Rouge pendant la période coloniale

Une autre solution pour limiter la pression sur les ouvrages consiste à draguer le fond des cours d’eau parfois obstrués par des cônes sédimentaires empêchant leurs eaux de rejoindre le fleuve principal. Il est également possible de créer de nouveaux canaux de défluence, des déversoirs (qui, dans un delta aussi peuplé que celui du fleuve Rouge, sont rarement inhabités comme c’est le cas du lit majeur du fleuve Đáy qui sert de déversoir depuis 1975), des réservoirs de retenue, de construire des écluses et des barrages (Hòa Bình, Sơn La, Lai Châu, etc.) mais, souvent, ces « solutions » ne font que reporter le problème ailleurs. 

À noter enfin qu’avec le processus d’urbanisation, le comblement des espaces lacustres, essentiels à la régulation des inondations, aggrave considérablement ces dernières ainsi que le risque de subsidence (voir Hà Nội). 

Pour aller plus loin :

Fanchette S., 2002, « Le delta du Fleuve Rouge : étude des densités de population et de l’urbanisation des campagnes », Espace, populations, sociétés, vol 20, n°1, pp. 189-202.

Gilard O., 2006, « Risques d’inondation dans le delta du Fleuve Rouge. De la nécessité d’améliorer leur prise en compte dans l’aménagement du territoire ». Hérodote, n°121, pp. 42-55.

Gourou P., 1936, Les paysans du Delta Tonkinois. Étude de géographie humaine, Thèse de doctorat, Paris, Les éditions d’Art et d’Histoire, p. 3

Ha P. Le, 2016, Les enjeux territoriaux contemporains de l’endiguement en milieu urbain. L’évolution des rives du fleuve Rouge à Hanoï. Thèse en Architecture et aménagement de l’espace, Université de Lyon, Lyon, 615 p.

Poisson E., 2009, « Détruire ou consolider les digues du delta du fleuve Rouge. Un débat au sein de la haute bureaucratie vietnamienne au XIXe siècle », Aséanie, pp. 77-96. 

Tessier O., 2013, « L’aménagement hydraulique du delta du Fleuve Rouge : Mise en perspective historique du rôle de l’État impérial puis colonial », communication pour Les journées de Tam Đảo (L’eau dans tous ses états), EFEO, AFD, Việt Nam.

---

^[1] Poisson E., 2009, « Détruire ou consolider les digues du delta du fleuve Rouge. Un débat au sein de la haute bureaucratie vietnamienne au XIXe siècle », Aséanie, pp. 77-96. 

^[2] Tessier O., 2013, « L’aménagement hydraulique du delta du Fleuve Rouge : Mise en perspective historique du rôle de l’État impérial puis colonial », communication pour Les journées de Tam Đảo (L’eau dans tous ses états), EFEO, AFD, Việt Nam.

---

---