La métropolisation en Asie du Sud-Est

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En Asie du Sud-Est, de nombreuses métropoles entretiennent un rapport étroit avec l’eau et plus précisément avec la mer et les cours d’eau. Plusieurs d’entre-elles se sont développées dans des deltas (Hà Nội, Shanghai, Bangkok, Hồ Chí Minh-Ville) ou sur des zones côtières (Jakarta, Manille). L’ouverture sur la mer confère à ces métropoles un avantage spatial par rapport aux autres métropoles d’Asie du Sud aux caractéristiques davantage continentales. Si les métropoles ne sont pas en contact direct avec les côtes, elles disposent toutefois d’un réseau de communication et de transport suffisamment performant pour abolir cette distance à la mer comme c’est le cas à Kuala Lumpur, distante de 45 km des côtes ou encore à Hà Nội distante de 100 km de Hải Phòng (deuxième port du pays). Le développement de ces métropoles a été favorisé par l’explosion des échanges commerciaux qui ont profité pleinement aux villes portuaires. 

La métropolisation La métropolisation renvoie à un processus de concentration de populations, d’activités, de valeurs dans les villes les plus importantes. Se caractérisant par une concentration des fonctions tertiaires stratégiques du nouveau système productif, les métropoles font l’objet d’études dont le choix des outils et des critères de mesure repose sur le niveau d’échelle considéré. Intimement liée aux transformations de l’économie mondialisée, de la financiarisation de celle-ci, et des sociétés, la métropolisation peut se faire au détriment des villes de niveau hiérarchique inférieur en plus de renforcer les interrelations entre les niveaux supérieurs de la hiérarchie. Du fait de leurs intégrations dans des échelles dépassant celles du pays, les métropoles sont animées par des dynamiques multi-scalaires qui laissent voir se développer de vastes aires urbaines toujours plus peuplées, et présentant une organisation spatiale multipolaire sur fond d’importantes discontinuités. À l’échelle locale, on assiste à des dynamiques de fragmentation, de ségrégation choisie ou subie qui viennent s’ajouter à des problématiques ayant trait aux migrations circulatoires, à l’expansion territoriale des villes, à la gouvernance urbaine, à la dégradation de l’environnement, etc.

Comme le notent C. Goldblum et T. Mc Gee chaque ville était dotée d’un quartier chinois commerçant ainsi que d’autres quartiers regroupant diverses nationalités (Thaï, Malais, Indiens, etc.). Le quartier commerçant était généralement relié à des villages productifs dans lesquels se tenaient des marchés, dont certains étaient flottants. A Hà Nội, le Quartier des 36 rues et corporations était quant à lui relié aux villages artisanaux périphériques qui alimentaient la ville en articles destinés à la vie quotidienne. Les villes de Hà Nội, Jakarta, Bangkok et Manille partagent la particularité de s’étendre sur des espaces densément peuplés marqués par la riziculture intensive irriguée. Véritables centres d’échanges commerciaux, ces villes ont longtemps entretenu un rapport étroit avec leur hinterland, notamment grâce à d’importants efforts d’artificialisation du milieu (creusement de canaux, édification de digues, poldérisation, etc.). Ainsi, « there was often no clear distinction between urban and rural in the Southeast Asian city, rural land uses-fruit trees, gardens, woods-being included in an amorphous “green” city». À l’inverse, Kuala Lumpur s’étend sur des espaces moins peuplés où l’agriculture est moins intensive et davantage diversifiée. L’eau est omniprésente dans les espaces sur lesquels se développent ces métropoles. Les cours d’eau, arroyos, et canaux découpent la périphérie et dynamisent son développement tandis que les enjeux liés au contrôle des inondations et des crues – parfois violentes (comme dans le delta du fleuve Rouge) – nécessitent la mise en place d’un pouvoir fort capable d’encadrer les populations et d’aménager l’espace. La construction de digues et d’ouvrages hydrauliques est alors censée protéger ces espaces. 

Si beaucoup de métropoles d’Asie du Sud-Est ont en commun d’être des villes deltaïques ou littorales, les temporalités du processus de métropolisation varient fortement d’un pays à un autre.                                                          

Après 1945, encouragée par les déclarations d’indépendance, l’urbanisation prend une nouvelle forme. Ces grandes villes deviennent alors les centres nationaux politico-administratifs des pays fraîchement libérés du joug colonial. Mais le mouvement d’urbanisation recouvre des formes et des intensités bien différentes selon les pays. En 1960, seuls Singapour et Brunei atteignent des niveaux d’industrialisation comparables à ceux des pays dits développés. Durant cette période, la population rurale des pays d’Asie du Sud-Est continue de croître à un rythme important. 

La période 1960 – 1990 est marquée par une scission importante entre les pays où le taux d’urbanisation est supérieur à 30% (Indonésie, Singapour, Brunei, Philippines) et ceux où ce taux est inférieur à 25% (Laos, Việt Nam, Cambodge, Myanmar). Dans un contexte de guerre froide, trois groupes se distinguent alors : les pays frères de l’URSS caractérisés par une politique anti-urbaine (Việt Nam, Laos), les pays alignés sur les nations capitalistes occupés à intensifier et à exporter leurs productions (Thaïlande, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour) et enfin les indésirables, les « parias »  (Myanmar, Cambodge). 

Dès 1960, les périphéries de ces villes s’urbanisent progressivement avant que les projets occidentaux et asiatiques ne s’y implantent. C’est le cas à Bangkok où, dès 1960, les rizières du périurbain proche ont été transformées en jardins horticoles pour alimenter la ville en produits frais.

Par la suite, les investissements étrangers dans l’immobilier, les communications et l’industrie accélèrent l’urbanisation des pays les plus ouverts sur l’extérieur. Ces investissements ont facilité le rattachement de villages périphériques et leur intégration dans l’économie marchande. 

Rapidement, Singapour devint la première ville-État post-industrielle dans la région. Les mégalopoles comme Manille, Bangkok, Kuala Lumpur et Jakarta attirent de plus en plus les investissements étrangers et entraînent une industrialisation sans précédent des hinterlands de ces villes. Dans des pays comme la Thaïlande ou la Malaisie, les relations ethniques ou encore les relations rural-urbain sont cependant empreintes de conflits (émeutes interethniques de 1969 en Malaisie par exemple) qui entachent le développement urbain mais lui confère malgré tout un net avantage sur les pays à économie planifiée qui amorcent  leur libéralisation au début des années 1980 seulement. 

Ces processus d’internationalisation de la production, des communications et des flux de marchandises sont aujourd’hui encore à l’œuvre. La ville de Jabodetabek (conurbation de Jakarta) en Indonésie atteint, en 2022, plus de 34 millions d’habitants.

Les métropoles asiatiques se développent sur des aires pouvant atteindre 50 km de rayon à partir du centre-ville, le développement urbain modifie alors considérablement la place et le rôle joué par les périphéries dans le processus de métropolisation. 

Les formes et configurations territoriales de ces nouveaux territoires ont été conceptualisées par T. McGee avec le néologisme de désakota du Bahasa Indonesia : desa village – kota ville, configuration associant, sur fond de riziculture intensive, un développement d’ensembles urbains (anciens et nouveaux) et d’activités industrielles, stimulés par la présence d’un bassin de main-d’œuvre bon marché et par des réseaux d’infrastructures efficaces.

L’industrialisation des périphéries et des corridors urbains enclenchée dans les années 1990  concerne aujourd’hui des capitales de dimensions plus modestes (Hà Nội, Phnom Penh) et des villes de second rang (Chiang Mai, Surabaya).

Ces nouvelles organisations territoriales entraînent de nouveaux rapports entre le centre et les périphéries et confèrent à l’espace périurbain une importance cruciale qui le place au centre de nombreux enjeux. « L’urbanisation périphérique ne saurait, en conséquence, être pensée sans référence à la centralité, à son statut, à ses formes et à ses attributs, non plus qu’aux réseaux qui sous-tendent ces nouvelles dispositions fonctionnelles et à leur rôle dans la détermination de la carte foncière, activant les reports de densités et d’activités ».

Pour aller plus loin : 

Askew, M, 2002, Bangkok. Place, Practice and Representation, Londres: Routledge, coll. Asia’a Global Cities, p.358.

Goldblum Charles, 2014, « Configurations périphériques de la métropolisation asiatique : essai de synthèse », Chap. 4. In Chaleard (coord) Métropoles aux Suds, le défi des périphéries ? Karthala-Prodig, p. 49-58.

Goldblum, Charles, 2014, « Configurations périphériques de la métropolisation asiatique : essai de synthèse », Chap. 4. In Chaleard (coord): Métropoles aux Suds, le défi des périphéries ? Karthala-Prodig, p.49-58.

Goldblum C., Peyronnie K., Franck M., 2019, « Métropolisation en Asie du Sud-Est. Régions urbanisées, villes mondialisées », In : L’Asie du Sud-Est. Émergence d’une région, mutations des territoires, Armand Colin, Horizon, 434 p. 

Mc Gee, Terrence, 1991, « The Emergence of Desakota Regions in Asia. Expanding a Hypothesis », In: Ginsburg NJ, Koppel B, Mc Gee TG (coord), The Extended Metropolis. Settlement Transition in Asia. University of Hawaii Press, Honolulu: 3-26. 

McGee, Terrence, 2009, « Interrogating the production of urban space in China and Vietnam under market socialism », Asia Pacific Viewpoint, Vol. 50, No. 2, p.228–246.

Rimmer, P J & Howard D, 2009, The City in Southeast Asia. Patterns, Processes and Policy, Singapour, NUS Press/Honolulu, Hawaii University Press, p. 340.

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