Le néolibéralisme
Le néolibéralisme peut être défini comme l’ensemble des propositions intellectuelles et des orientations politiques qui visent à étendre les mécanismes du marché et l’éthique de la concurrence à un spectre toujours plus large d’activités sociales, cela en s’appuyant sur une forte intervention de l’État.
En géographie, un des plus grands théoriciens du néolibéralisme est un marxiste : David Harvey. Selon lui, les tenants des politiques urbaines néolibérales considèrent qu’il est futile de redistribuer les richesses aux quartiers défavorisés des villes à des fins de justice sociale et que les ressources devraient surtout être dirigées vers des pôles de croissance « entrepreneuriaux ». En clair, le néolibéralisme veut rompre avec les politiques urbaines qu’on observait depuis la fin du XIXe jusqu’à la seconde guerre mondiale et qui reposaient sur la volonté d’assurer la reproduction du facteur travail, à soutenir la demande et à socialiser les dépenses de base (transport, éducation, santé, etc.). Dorénavant, pour le néolibéralisme, les politiques urbaines doivent surtout venir en appui des entreprises, des besoins du capital, de l’offre. Une des particularités centrales du néolibéralisme consiste également à privilégier les mécanismes de régulation associés au marché, c’est-à-dire la concurrence entre les individus et les territoires. Toutes ces politiques ont d’abord vu le jour au Royaume-Unis sous Thatcher, aux États-Unis sous Donald Reagan ou encore sous Pinochet au Chili.
Pour bien comprendre ce qu’est le néolibéralisme, il faut revenir à ses origines. Le néolibéralisme procède intellectuellement du libéralisme mais il ne peut pas lui être associé tant il s’en distingue. Le libéralisme comporte d’abord une dimension politique que l’on trouve dans les écrits de John Stuart Mill (1863). Selon cette tradition, un bon régime est fondé sur la garantie d’une sphère de liberté individuelle qui protège des intrusions des pouvoirs politique ou religieux. Ceci implique la mise en place de stricte limite au pouvoir de l’État. En matière d’économie, le libéralisme défend le marché comme source de distribution des richesses. Une visée universaliste peut donc être soulignée dans le libéralisme.
Dans la première moitié du XXe siècle, l’émergence de régimes menaçant le marché et la concurrence (l’Amérique du New Deal, l’URSS de Staline, l’Allemagne d’Hitler) donne naissance au néolibéralisme. Cette nouvelle école de pensée s’exprime lors d’un colloque organisé par le journaliste Walter Lippmann à Paris en 1938, tous les participants partagent un même constat : l’État doit rester à sa place mais il doit s’occuper de la police, de la protection des droits de propriété et il doit protéger et encourager le marché. On est donc loin de l’idéal libéral qui prônait une mise à distance de l’État.
Milton Friedman et Friedrich Von Hayek incarnent une vision radicale du néolibéralisme. Alors que les ordolibéraux entendent protéger le marché contre ses propres excès et limiter son emprise à la sphère productive, les néolibéraux comme Hayek et Friedman en font au contraire un principe de base de l’organisation et militent pour son extension à des domaines qui jusque-là lui échappaient : la famille, la justice, l’éducation. L’individu néolibéral est une créature agressive, entrepreneur de soi poussé à adopter un comportement compétitif dans tous les domaines de la vie, tout doit être rentable et faire l’objet de calculs de rentabilité. Pendant l’entre-deux guerres, ces propositions sont restées marginales. Par contre à partir de la fin des années 1970, le néolibéralisme gagne du terrain. Il devient l’idéologie dominante de l’administration américaine mais aussi celle des grandes institutions internationales (FMI, Banque Mondiale) qui ont d’ailleurs le siège à Washington.
Une des lectures les plus influentes du néolibéralisme est celle proposée par les néo-marxistes comme David Harvey. Pour lui, le néolibéralisme est une nouvelle modalité de gestion du surplus capitaliste. La néolibéralisation est pour lui la restauration d’un pouvoir de classe, en particulier celui d’une élite très privilégiée de banquiers d’affaire et de dirigeants d’entreprises. Ce processus passe notamment par la dérégulation et la baisse des taxes. Pour Harvey, ce néolibéralisme ajoute à l’accumulation par expansion, l’accumulation par dépossession des classes les plus fragiles par les classes possédantes à travers les pressions accrues sur les salaires, le refoulement de l’État providence (Etat qui intervient activement dans les domaines sociaux et économiques pour assurer des prestations de qualité aux citoyens), la privatisation des systèmes de retraite ou des services publics ou encore la montée de pratiques abusives en matière de prêts bancaires.
Le second courant d’interprétation du néolibéralisme rassemble des sociologues et des anthropologues comme Pierre Bourdieu par exemple. Ce courant différe du précédent car il identifie le néolibéralisme comme un projet d’État. C’est une nouvelle articulation de l’État, du marché et de la citoyenneté pour faire du marché la nouvelle norme guidant les actions des citoyens…
Le troisième courant est celui représenté par M. Foucault qui définit le néolibéralisme comme « une forme de réflexion critique sur la pratique gouvernementale », une « rationalité » et qui refuse de voir dans le néolobéralisme un discours imposé d’en haut. C’est plutôt un ensemble de pratiques qui facilitent la gouvernance des individus à distance. Le néolibéralisme participe aussi, pour Foucault, de l’émergence de nouvelles subjectivités, les individus vont s’identifier à de nouvelles normes et valeurs qui portent en germe le marché.
Le Vietnam est également travaillé par des logiques néolibérales qu’il importe de mieux comprendre. Mené par un État développementaliste, le pays emprunte en effet des techniques et certaines rationalités politico-économiques au néolibéralisme. Cependant, comme tente de le montrer le billet “le néolibéralisme au Viêt Nam”, la gouvernementalité à l’oeuvre illustre davantage une hybridation de différentes modes de gouvernement sur fond d’autoritarisme à géométrie variable ancré dans une forte tradition interventionniste.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Yves Duchère (15 janvier 2024). Le néolibéralisme. Việt Nam ơi ! Consulté le 16 septembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/vl23
